2. L'année d'exil en Dordogne

Sur la base de l'article paru dans le Giessen Infos n°33 rédigé par Ludovic Seng avec l'aide de Michèle Barthelmebs et Charles Lutz. 
Avec les précieux témoignages de Jean-Pierre Bapst, Virgile Bapst, Louise Gewinner épouse Gasser, Emilie Goetz épouse Fischer. 
Nos remerciements à toutes et à tous.

L' installation

Les habitants de Plobsheim sont d’abord installés dans des logements mis à disposition par voie de réquisition, à Port-Sainte-Foy et Fougueyrolles mais par la suite également dans les communes voisines : principalement Saint-Antoine-de-Breuilh, Vélines et le Fleix.

Pour beaucoup de Plobsheimois, c’est la première fois qu’ils découvrent la «France de l’intérieur». La cohabitation n'est pas des plus faciles. Les habitants du sud-ouest sont surpris de recevoir des gens qui parlent plus volontiers l'alsacien que le français alors que les Périgourdins parlent eux aussi un patois local. Entre évacués et autochtones, à l'incompréhension s'ajoutent aussi la gêne et l'anxiété. Les Alsaciens sont frappés par les conditions de vie différentes qu’en Alsace.

Malgré les inévitables frictions, la vie va s'organiser : dès l'automne certains exilés sont associés aux vendanges, d'autres vont trouver rapidement un travail en fonction de leur métier.

Les réfugiés touchent une allocation journalière et disposent d’une cantine quand ils ne mangent pas chez l’habitant. Les Périgourdins doivent céder des terres aux réfugiés pour leur servir de potager.

 

Témoignages :

Temporairement logés au foyer municipal de Port-Sainte-Foy, Virgile Bapst et ses parents occupèrent ensuite un petit logis chez Mademoiselle Frères à Port-Sainte-Foy jusqu’au mois de novembre 1939. Durant le mois d’octobre, ils participèrent aux vendanges chez M. Gaury à Fougueyrolles. Du 11 novembre au 16 décembre, ils logèrent à Saint-Aulaye avant de s’installer à Saint-Antoine-de-Breuilh. Le 22 février 1940, ils déménagèrent une dernière fois, tout en restant dans la même commune, au Platier chez M. Honoré Cluzeau, au bord de la Dordogne.

Emilie Goetz et sa famille restèrent à Villé plus longtemps que d’autres familles, pensant que la guerre allait rapidement se terminer et ainsi pouvoir retourner au village. Elles arrivèrent en train à Villefranche-de-Lonchat, où une camionnette les emmena au château de Gurson (commune de Carsac-de-Gurson) pour les vendanges. En échange de leur travail, elles étaient nourries et logées dans des conditions spartiates.

Difficultés

Le 8 décembre 1939, une plainte collective est déposée à la Préfecture de la Dordogne par Geoffroy Bapst au nom de plusieurs évacués hébergés dans la commune de Port-Sainte-Foy. Voici ce qu’elle contient :

«1/ Les enfants et les femmes notamment sont mal logés.
  2/ Les enfants n’ont pas eu l’occasion jusqu’à ce jour de fréquenter l’école.
  3/ Les femmes et enfants des mobilisés sont souvent plus mal logés que les autres.
  4/ En ce qui concerne M. B. personnellement, M. le Maire de Fougueyrolles lui refuse l’autorisation de résider dans sa commune, où il a loué un logement.»

Pourtant le maire de Port-Sainte-Foy  se démène pour trouver des solutions : des baraquements sont construits afin de rajouter des logements. 
Son plus gros souci est de nourrir tous ces réfugiés : la Dordogne est en proie à une importante pénurie de blé et de farine.

En décembre 1939, une fête de Noël est organisée afin d'apporter un peu de joie et de réconfort aux petits Alsaciens.

L’hiver 1939 est si rigoureux en Dordogne cette année-là que les Périgourdins disent en plaisantant que les Alsaciens ont apporté la neige avec eux. Dans un courrier envoyé à Arthur Lutz, Louise Gewinner se plaint de devoir chercher du bois dans les montagnes et d’avoir les pieds égratignés par les ronces alors qu’à Plobsheim son stock de bois avait déjà été préparé pour l’hiver.

Témoignages :

Louise apprit, par le biais de sa soeur Frieda, que le magasin de vêtements de la famille Trassan, implanté à Port-Sainte-Foy, cherchait une vendeuse parlant l’alsacien. Le patron souhaitait augmenter sa clientèle en vendant ses articles aux réfugiés alsaciens qui n’avaient pas pu emporter tous leurs vêtements en Dordogne. Louise tenait son stand sur les marchés des environs de Port-Sainte-Foy. Les réfugiés payaient avec des bons qu’elle échangeait ensuite contre de l’argent.

Un jour, Eve Goetz, grand-mère d’Emilie, ramassa des pommes qui s’abîmaient au sol, sur le chemin de retour au château, pour en faire une compote et fut ensuite accusée de vol. Plus tard, la famille s’installa dans une petite maison vide à Vélines mise à disposition par une famille de notaires : les Paris. La mère d’Emilie trouva un travail comme lavandière alors que sa tante, Sophie Eckert, fut servante dans une famille près de la gare.

Joies et peines

En juin 1940, trois salles sont mises à disposition dans des baraquements en construction pour servir de salles de classe pour les enfants plobsheimois. Ceux-ci retournent à l'école mais ils sont séparés des Périgourdins afin de respecter les particularités de leur enseignement : 3 h d’allemand et 4 h d’instruction religieuse. Emilie Goetz se souvient qu’un vieil instituteur juif assurait les cours tous âges confondus. Madame Baumann, institutrice de Plobsheim, n'était pas en Dordogne : elle s’était exilée du côté de Vichy, tandis que l’instituteur Teutsch, enseignant à Plobsheim avant l'évacuation, était affecté comme caporal à la 23e Section d’Infirmiers Militaires à Toul.

Dix-huit naissances de petits Alsaciens vont être enregistrées à la mairie de Port-Sainte-Foy entre le 6 octobre 1939 et le 14 juillet 1940.

Environ sept autres enfants de Plobsheimois vont naitre dans d’autres communes périgourdines ou encore en Alsace pour ceux qui avaient pu se loger chez des amis ou de la famille. Les frères Adolphe et Charles Baerst et leur famille par exemple furent accueillis à Scharrachbergheim où vivait un certain Datt dont Adolphe avait fait la connaissance lorsqu’il était soldat durant la Grande Guerre.

Les parents d’Albert Eugène Schwentzel, né en Dordogne, se marient le 6 avril 1940 à Port-Sainte-Foy entre autres mariages.

Dix-neuf Plobsheimois décédent en exil, dont deux qui n’arrivèrent même pas en Dordogne : Frédérique Bapst (19 ans) et la boulangère Justine Taubert (69 ans) moururent en septembre 1939 à l’hôpital de Sélestat.

Jacques Heller (71 ans) est le premier Plobsheimois à décéder en Dordogne le 22 septembre 1939. Jean et Hermine Lotto perdent leur fille âgée d'un jour, née à Saint-Antoine-de-Breuilh. Dorothée Thalgott (88 ans), née Hertel, décéde à Gertwiller alors qu’elle loge chez son gendre.

Le village de Plobsheim n’est pas complètement désert durant l’évacuation. Des soldats français, principalement du 2e Régiment d’Infanterie Coloniale, occupent certaines maisons du village à partir du 23 octobre 1939. Le 250e Régiment d’Infanterie le remplace à partir du 28 janvier 1940. La commission de sauvegarde, composée de dix-huit hommes de Plobsheim, assure la surveillance du village.

En annexe : Extraits du livre "Chronique des années de guerre en pays foyen 1939-1945"
                    
écrit par Jean Vircoulon et Jacques Reix (secrétaire général de la Mairie de Port Ste Foix en 1995, au moment de la parution du livre)           

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