Adolphe Baerst : Malgré-Lui

Adolphe Baerst : Soldat sous deux uniformes différents de 1942 à 1945

Texte rédigé par Michèle Barthelmebs pour le Giessen Infos n°12

En 1942 :

Le 25 août 1942, une ordonnance du Gauleiter Robert Wagner introduit le service militaire obligatoire en Alsace. C'est le début de l'incorporation de force des Alsaciens Mosellans dans l'armée allemande.

Le 10 octobre 1942, Adolphe Baerst, 20 ans, sera le premier incorporé de force de Plobsheim. Avec ses camarades, il rejoindra la caserne de Strasbourg. Pour montrer leur opposition, certains chantent la Marseillaise, d’autres tirent le frein d’arrêt d’urgence en traversant le Rhin en train à Roeschwoog. Arrivé à Augsbourg, puis à Ingolstadt sur le Danube, il recevra une formation militaire pendant deux semaines. Son régiment est formé à moitié d’Alsaciens et moitié de vétérans bavarois de dix ans plus âgés qu’eux.

Envoyé comme tous les incorporés de force sur le front de l’Est, il arrive à Kiev le 2 novembre 1942, après dix jours de voyage, car d’autres trains étaient prioritaires. Il est logé dans une immense usine d’armements qui fabrique des chars d’assaut. Il reçoit un approfondissement de sa formation de soldat durant six semaines.

Il fera partie des cavaliers chargés de la chasse des partisans, c'est-à-dire des résistants communistes soviétiques. Les officiers allemands très nerveux face à ces adversaires jugés déloyaux et rusés, prennent six otages dans les villages. Au cas où il arriverait quelque chose aux soldats allemands, ces otages seraient exécutés !

Son unité est commandée par un officier prussien fanatique, borgne, avec un bras blessé et qui aurait dû être démobilisé. Il est particulièrement virulent et déteste les Bavarois. Ces troupes de cavaliers anti-partisans doivent sécuriser les voies de communications essentielles pour le ravitaillement de la Wehrmacht et sont décidés à éliminer toute velléité de résistance.

Ils avancent sur route et par rail jusqu’à Charkow, en passant par les terribles marécages du Pripet. Au printemps, le dégel rend cette région très dangereuse. Celui qui quitte la route va mourir noyé. A un moment, ils peuvent lire sur un panneau : Heimat : 2000 km, Front : 1000 km. Ces soldats sont dépenaillés et sèment la terreur. Pourtant un jour où ils doivent loger les chevaux dans une église orthodoxe désaffectée, les soldats bavarois très catholiques respectent le sacré du lieu, en silence, sans juron aucun.

 

En 1943 :

En avril 1943, il retourne à Kiev. De là, il mettra un mois à rejoindre Ingoldstadt en Allemagne. Le train est souvent bloqué car les Allemands envoient des moissonneuses et autres machines agricoles pour les récoltes en URSS. Adolphe Baerst a peur de retourner sur le front russe ou d’être envoyé en Yougoslavie.

Au moment où il est rappelé, il trouve le prétexte d’avoir besoin de soins dentaires avant de repartir au front. Les températures très rigoureuses en URSS (jusqu'à -37 °) et à force de manger du pain gelé, lui ont causé des problèmes de dentition. Un Slovaque, engagé dans l’armée allemande en URSS, lui a extrait une dent infectée avec les moyens du bord.

Ensuite, grâce à la complicité d’un dentiste d’Ingolstadt qui lui arrache 7 dents, il arrive à faire traîner son traitement pendant un an. Il fera partie de la dernière compagnie qui reste en attendant un départ vers l’Italie ou le sud de la France.

En 1944 :

En avril 1944, il est envoyé en Italie. Les Alliés y ont débarqué. L’Italie a théoriquement rejoint le camp allié. La plupart des troupes italiennes ont été désarmées ou froidement exécutées par les Allemands. Si les Allemands disposent de troupes moins nombreuses que les Alliés, celles-ci sont solidement retranchées sur un dispositif de défense sur toute la largeur de la péninsule. Le sommet des Apennins est un véritable rempart. Dans les montagnes des Abruzzes, la ligne Gustav empêche les Alliés de marcher sur Rome. La clef du dispositif qui ouvre cette ligne est le monastère de Mont Cassin à 435 m d’altitude, à mi- chemin entre Naples et Rome. Cette hauteur surplombe la ville de Cassino ainsi que la route nationale et domine les vallées du Rapido et du Liri.

Du 4 janvier au 19 mai 1944, vont s’y affronter 300 000 Alliés rejoints par le Corps Expéditionnaire Français du général Juin et 100 000 Allemands. Dans la compagnie d'Adolphe Baerst, ils sont dix incorporés de force et beaucoup de jeunes soldats d’à peine seize ans. Les Américains en prennent un et le renvoient aux Allemands avec une pancarte au cou sur laquelle ils ont inscrit : « Nous ne nous battons pas contre des écoliers ! » Le jeune lieutenant allemand de 20 ans, encore étudiant, n’a aucune expérience des combats et demande l’avis aux plus âgés.

Après quatre attaques, le monastère de Mont Cassin tombe entre les mains des Alliés, grâce aux Polonais engagés avec les Britanniques et au succès de la manœuvre française de débordement du sud de Cassino : la bataille de Garigliano en mai 1944. Les combats ont fait rage. Adolphe Baerst a la vie sauve car il s’était caché derrière les roues d’un tank, les autres sont morts, brûlés ou blessés. Le feld-maréchal Kesserling abandonne Cassino. Les Alliés ont perdu 115 000 hommes et les Allemands 60 000.

Adolphe Baerst est fait prisonnier par les Américains. Il ne comprend pas un mot d’anglais, il est au bout du rouleau mais heureux d’être vivant. Il rencontre un officier canadien qui lui offre de l’eau, tout en affirmant être un Juif Berlinois et que la compagnie 12 du Régiment allemand 212 à laquelle fait partie Adolphe Baerst est sous contrôle du bataillon d’élite de parachutistes de Hermann Goering, de terrible réputation.

Les 39 000 prisonniers allemands n’ont rien à manger, ils dorment sous des tentes, mais quand il pleut, tout est mouillé. Le 6 juin 1944, le jour du débarquement en Normandie, le général Juin libère les incorporés de force. Ils reçoivent un uniforme américain avec un petit drapeau français cousu sur une poche de la chemise. Ils sont emmenés par bateau à Naples. Adolphe Baerst y reste jusqu’au 12 avril 1945, s’occupant d’intendance, de surveillance, de la distribution du courrier. Il est même affecté à la Garde d’honneur ! Il visitera Rome qui a été libérée le 4 juin 1944.

Il fera le dernier mois de la guerre dans l’armée française, à Marseille, toujours sous uniforme américain, car on manque de tout. C’est là qu’il apprendra la mort du président américain Franklin Delano Roosevelt et la capitulation allemande du 8 mai 1945 !

Voilà les tribulations d’un Alsacien sur le front russe à lutter contre les partisans, puis en Italie à tenter d’empêcher les Alliés de marcher sur Rome. Portant l’uniforme allemand, puis américain et pour finir la guerre, incorporé dans l’armée française !

Les habitants du village de Plobsheim ont beaucoup souffert durant cette période. La famille Baerst verra partir ses trois fils sur le front de l’Est, et l’un d’eux, Édouard, sera porté disparu en Lituanie.

Adolphe Baerst fera par la suite de nombreux voyages avec son épouse en Italie, tant cette période de la guerre et ce pays auront marqué sa vie.

Il est décédé le 21 décembre 2008 à l'âge de 86 ans.

Que l'histoire des Incorporés de Force serve de leçon pour un avenir de paix en Europe et dans le monde !